Document texte not found (C:\Users\LIFRAS00\Desktop\Organon PROD\websites\Textes\0)

>
Une seiche m’a fait de l’œil
Faune et flore
Rechercher
Accès Membres Lifras
Whois
Découvrir les activités Lifras
Vous rêvez depuis toujours de plonger dans des eaux bleues et d'explorer de merveilleux fonds marins ? Il vous suffit de franchir la porte de l'un de nos clubs de plongée et d'essayer.
Découvrir les formations Lifras
La Lifras vous propose une formation de haute qualité dont les brevets sont reconnus dans le monde entier.
Plonger en Belgique avec la Lifras
Apprendre à plonger au sein des clubs Lifras vous garantit, en plus de la sécurité, une ambiance sportive et amicale.
Jeudi 1 juin 2023

Tout le monde connaît les « os » de seiche… ces galettes blanches qu’on trouve sur nos plages, dans la laisse de mer, ou chez Tom & Co au rayon des accessoires pour oiseaux (car, bien sûr, c’est une excellente source de calcium et magnésium pour nos amis emplumés). Pour être précis, ce ne sont pas des os, mais l’évolution d’une coquille interne qui permet à ces Mollusques Céphalopodes de s’équilibrer. Le « sépion », puisque c’est son nom, joue donc en quelque sorte le même rôle que la vessie natatoire chez le poisson. Il est poreux et grâce à un système hydropneumatique, le volume d’azote interne est réglé en fonction de la profondeur ; il en résulte une flottabilité nulle pour la seiche…

Mais pour ma part, ce sont les yeux de la seiche que je trouve extraordinaires ! Une rencontre il y a quelques mois avec des seiches à Tholen m’a donné envie d’en savoir plus sur les yeux de ce curieux Mollusque et d’écrire cet article. Ce jour-là, j’avais repris l’organisation d’une sortie Zélande de l’été pour mon club de Bruxelles, le Wolu. C’était le 29 août dernier : les conditions climatiques nous avaient obligés à choisir un site protégé et j’encadrais à cette occasion la cinquième plongée d’une plongeuse non brevetée. Après la mise à l’eau, nous avons assez rapidement croisé un couple de seiches que nous avons retrouvé en fin de plongée. Nous sommes alors restés quelques minutes à les observer… Coup de chance, j’avais ma GoPro en poche.

Alors que le mâle (reconnaissable aux zébrures prononcées sur les « bras » extérieurs) semblait monter la garde, la femelle s’affairait autour de sa ponte sur un piquet planté dans le sol. Elle s’approchait régulièrement et semblait déposer sur le piquet un par un des œufs reconnaissables à leur forme de « grain de raisin » pointu et noir. Pour tout dire, il n’était pas facile de voir si elle était réellement en train de pondre ou si elle s’employait à nettoyer ou ventiler la ponte. En principe, la période de ponte se termine plus ou moins à la fin du mois de juillet… mais une ponte tardive n’est pas impossible. Quoi qu’il en soit, la couleur noire des œufs sur le piquet indique qu’ils ont été pondus il y a peu de temps. Les œufs à maturité deviennent en effet clairs et transparents.

La chose qui m’a particulièrement marqué, c’est l’œil de l’animal… et sa pupille typique en forme de W (comme Wolu, le nom de mon club). Les Poissons ont généralement une pupille ronde et fixe : le diamètre ne varie pas, la pupille n’est pas contractable à la lumière… raison pour laquelle on vous a dit de ne pas diriger le faisceau de votre lampe directement dans les yeux des poissons. La pupille de la seiche (qui n’est pas un Poisson, me direz-vous), elle, est bel et bien contractable en fonction de la luminosité ambiante. J’ai voulu en savoir plus…

Première découverte… les seiches seraient daltoniennes (pas étonnant avec leurs rayures…) ! En effet, la rétine des seiches est constituée d’un seul type de photorécepteur. Celle des humains, elle, en a trois (les fameux cônes de la rétine) qui détectent trois longueurs d’onde de lumière, ce qui permet à notre cerveau d’interpréter les couleurs. Si les Céphalopodes n’ont qu’un type de récepteur chromatique, cela signifie a priori qu’ils ne distinguent pas les couleurs… Alors, comment expliquer leurs impressionnantes capacités de camouflage qui repose précisément sur un rapide changement de couleurs en fonction de l’environnement ? C’est d’autant plus intrigant que leurs capacités sont vraiment spectaculaires : une étude par imagerie hyperspectral (avec une caméra qui perçoit un très grand nombre de longueurs d’onde, bien au-delà des capacités humaines) a démontré la capacité de ces animaux à imiter avec une très haute-fidélité les couleurs du substrat sur lequel elles se posent. Comment peuvent-elles s’adapter aux couleurs de leur environnement qu’elles ne « verraient pas » ? La question intrigue les scientifiques depuis longtemps et elle n’est, semble- il, pas complètement élucidée. Une étude de 2016 suggère cependant que c’est précisément la forme des pupilles qui pourrait expliquer leur capacité de distinguer les couleurs. Les seiches pourraient donc « identifier ?» les couleurs… mais d’une manière tout à fait différente des autres animaux. Le principe reposerait sur un phénomène que les photographes connaissent bien : le flou chromatique (cf. encadré).

Le flou chromatique

La couleur de la lumière est déterminée par sa longueur d’onde. Étant donné que les différentes longueurs d’onde circulent à des vitesses différentes lorsqu’elles traversent une lentille, on observe un phénomène appelé dispersion. Par conséquent, les points focaux des différentes couleurs ne tombent pas tous exactement sur le même plan focal. Ces aberrations peuvent déformer la couleur dans les images capturées et provoquer l’apparition de franges chromatiques indésirables à la limite entre les zones claires et foncées de l’image.

La pupille en W permet à la lumière d’entrer de plusieurs côtés à la fois, plutôt que de manière directe et centrique, comme c’est le cas dans la pupille des Mammifères chez qui la lumière passe par un trou rond et arrive à des endroits précis de la rétine. En entrant par différents points et avec différents angles, les rayons sont réfractés de différentes manières, ce qui décompose la lumière et crée une sorte de halo chromatique constitué des différentes couleurs séparées en fonction de leur longueur d’onde et arrivant à des endroits différents dans le fond de l’œil. L’animal, sans distinguer directement les couleurs, pourrait les « interpréter » en fonction des endroits où arrivent ces différents points de lumière.

Ce mécanisme manifestement efficace demande cependant plus de « capacité de calcul », ce qui pourrait expliquer en partie la taille du cerveau de ces animaux qui est connue pour être très grande proportionnellement à leur corps. À cela s’ajoutent sans doute les besoins suscités par le contrôle des chromatophores, ces cellules qui changent de couleur, permettant à la seiche de reproduire les couleurs de son environnement et de se fondre dans le décor en recopiant jusqu’aux textures du milieu.

Pour contrôler 28 millions de cellules… on imagine aisément que le « câblage » doit être conséquent et qu’il faut une sacrée puissance de calcul. Les scientifiques parlent de peau « électrique » : dès que l’information visuelle arrive au cerveau, elle est renvoyée vers les cellules chromatiques qui contiennent des pigments de cinq couleurs différentes (jaune, orange, rouge, brun et noir) et qui peuvent s’adapter en une fraction de seconde par dilatation ou contraction différentielle. Une peau avec plusieurs centaines de chromatophores par millimètres carré… C’est mieux qu’une TV 4k. 

Elles sont capables de reproduire jusqu’aux reflets de lumières induits par les mouvements de l’eau. Ces découvertes me semblaient bien justifier un petit article et j’étais prêt à boucler quand Brigitte, une plongeuse biologiste du DST me signala en outre que l’œil de la seiche est aussi un bon exemple de «convergence évolutive»… c’est-à-dire que l’on retrouve chez les Céphalopodes un œil dont la structure, résultant de l’évolution, est assez similaire à celle des Vertébrés alors qu’il s’agit de deux embranchements indépendants (les Cordés et les Mollusques) dans la grande taxonomie du vivant. Impossible donc de terminer cet article sans expliquer qu’effectivement les yeux de la seiche ne contiennent qu’une seule chambre oculaire (comme les Vertébrés) à l’inverse des Arthropodes (comme les crevettes ou les écrevisses), par exemple, qui ont généralement des yeux composés. On peut donc dire que les yeux à cristallin des Vertébrés et des Céphalopodes représentent des adaptations convergentes à la vision, car ils ont un certain nombre de traits communs.

Mais au-delà de ces ressemblances, il y a également des différences, comme j’ai commencé à l’expliquer plus haut. La rétine des Céphalopodes n’est formée que d’une seule couche de cellules photoréceptrices et ces cellules sensorielles sont tournées vers la lumière. Au contraire, celle des Vertébrés est composée de trois couches cellulaires, la plus externe (le fond de l’œil) étant constituée des cônes (vision des couleurs) et bâtonnets (vision par faible luminosité). La lumière doit donc traverser deux couches de neurones qui traitent les informations visuelles avant d’atteindre les cônes et bâtonnets. Le flux d’informations sensorielles empruntera ensuite le chemin en sens inverse à celui de la lumière. Ces différences sont en tout cas un témoignage de l’importante composante du hasard dans l’évolution…

Par ailleurs, le cristallin des Céphalopodes est dur et les accommodations sont réalisées par déplacement (à la manière d’une lentille d’appareil photo) et non par déformation, comme c’est le cas dans l’œil humain. On peut aussi souligner que la position des yeux sur les côtés de la tête lui donne un champ de vision très large qui est utile pour se prémunir des prédateurs.

Bref, vous l’aurez compris… ce 29 août, une seiche m’a fait de l’œil.

Je lui dédie cet article !

Cédrick Fairon


Actualité précédente
La plongée, un sport de 8 à 88 ans
Actualité suivante
L’été arrive : buvons bien (et pissons clair)