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Il y a quelques semaines, un article paru dans la presse avait attiré mon attention : « Middelkerke retire finalement les écrevisses de l’étang du parc » … Pourquoi, me disais-je, voudrait-on retirer des écrevisses alors que d’autres personnes seraient contentes d’en ajouter dans leur plan d’eau ? Car on ne va pas se mentir, nous, plongeuses et plongeurs, sommes toujours ravis de pouvoir observer tout organisme vivant tel qu’une petite écrevisse toute mignonne dans nos carrières d’eau douce.
Et donc, en ce mois d’avril 2023, la commune de Middelkerke (Flandre Occidentale) s’est résolue à assécher carrément tout un étang situé dans le Parc Normand afin de supprimer une espèce d’écrevisse : l’écrevisse marbrée. Cela peut nous sembler une mesure drastique. Tout cela pour un animal qui fait seulement quelques centimètres de long ?
L’écrevisse marbrée en question s’appelle Procambrus virginalis et s’ajoute à la liste des écrevisses invasives déjà connues chez nous. Je vous renvoie d’ailleurs aux deux précédents articles parus dans l’Hippocampe qui parlent des différentes écrevisses de nos plans d’eau (Hippocampe n°251 : Écrevisses exotiques ou comment protéger notre écrevisse indigène par Jérémie Guyon, Etienne Branquart, Adrien Latli, Olivier Antoine et Roger Cammaerts / Hippocampe n°257 : Quelles écrevisses reverrons-nous au barrage de l’Eau d’Heure ? par Gérald Biston).
Concernant l’écrevisse marbrée qui a provoqué l’assèchement d’un étang à Middelkerke, une lecture rapide sur la page Wikipédia nous apprend que cette écrevisse est une espèce issue d’hybridations en provenance de l’aquariophilie, qu’elle est très ubiquiste et a déjà fait beaucoup de dégâts (entre autres sur l’île de Madagascar) car, outre sa propension à se nourrir de tout et de rien, elle est aussi porteuse de pathogènes qui auront vite fait d’attaquer les autres écrevisses. Mais, fait encore plus remarquable et qui explique un peu plus sa facilité de dispersion, c’est la seule écrevisse connue pour le moment à se reproduire uniquement par parthénogenèse, c’est-à-dire un système de reproduction asexué et monoparental d’autofécondation (à ne pas confondre avec l’hermaphrodisme) qui induit que tous les individus nés sont des clones puisque la parthénogenèse a le chic de permettre à la mère de donner naissance à des bébés dont le capital génétique sera identique au sien. Toutes les écrevisses marbrées sont des femelles et il ne faut qu’un seul individu pour commencer une reproduction en masse. Pas étonnant que nos autorités restent vigilantes sur la question. Cette écrevisse ne serait pour l’instant pas encore installée en Wallonie, mais restons prudents.
L’article sur Middelkerke avait attisé ma curiosité et je suis alors tombée sur une autre opération du genre, mais cette fois en Wallonie. En 2021, c’est du côté de Chaumont-Gistoux (Brabant Wallon) qu’une opération d’envergure a été entamée dans deux étangs privés après que le propriétaire des lieux se soit rendu compte qu’il y avait un problème de surpopulation d’écrevisses, cette fois des écrevisses de Louisiane. « Après que les propriétaires ont mis ces écrevisses dans leurs bassins ou leurs étangs, l’eau change de couleur, il n’y a plus de végétation aquatique, il y a moins de poissons, il n’y a plus de batracien. Et on peut voir aussi un réseau de galeries dans les berges ce qui mène à un recul des berges de l’étang et à un effondrement des berges dans les cas les plus graves ». Pour la petite histoire, ils ont dû complètement vider les deux étangs et ont supprimé pas moins de 5000 écrevisses. Et pour être certains d’avoir éradiqué toutes les écrevisses, les étangs doivent rester asséchés pendant 2 ans.
Et donc, les écrevisses, toutes aussi mignonnes qu’elles puissent paraître, et qui font notre joie au cours d’une plongée, peuvent aussi provoquer de graves déséquilibres dans les plans d’eau ? L’écrevisse est un animal omnivore, ce qui signifie qu’il va se nourrir de tout et n’importe quoi. Les formes adultes vont préférer les végétaux, les jeunes sont carnivores, voire cannibales. Cela peut être pratique d’être omnivore, mais ce genre d’animal va considérablement casser la chaîne alimentaire d’un écosystème si sa présence n’est elle-même pas régulée. Et c’est là tout le problème des espèces exotiques. Elles sont accidentellement ou non incorporées à un nouvel habitat, et si elles s’y plaisent bien, en l’absence de leurs prédateurs attitrés qui n’ont pas été incorporés dans le package, elles vont proliférer et deviendront envahissantes si aucun prédateur n’est capable de limiter leur population.
En 1970, 300 individus de l’écrevisse de Louisiane (la même que celle de Chaumont-Gistoux) furent introduits au Kenya, dans le lac Naivasha (139 km²) pour la consommation humaine. Il faut savoir qu’il n’y a en principe aucune espèce d’écrevisse sur le continent africain, et donc cela va sans dire, aucun prédateur d’écrevisse. Procambarus clarkii, de son petit nom latin, s’est tellement plu dans les eaux chaudes kényanes, qu’elle a proliféré en masse.

Des 300 individus libérés en 1970, on est passé en seulement 5 ans à plusieurs centaines de tonnes métriques par an (1 tonne métrique = 1000 kg). Dans les années 2000, on parlait de 40 tonnes métriques pêchées chaque année pour la consommation locale. Jusque-là, si c’est pour remplir le ventre des habitants, tout va bien me direz-vous.
Mais l’écrevisse étant omnivore, elle mange entre autres les plantes aquatiques et certaines plantes ont donc été complètement éradiquées, ce qui a eu des conséquences catastrophiques sur le reste de la faune présente dans le lac. Il existe de très nombreuses études sur l’impact des écrevisses invasives sur les écosystèmes, européens ou non. Toutes vont dans le même sens : une surpopulation d’écrevisses dans un plan d’eau va provoquer un déséquilibre important. Les écrevisses s’attaquent à la fois aux œufs et alevins de poissons, aux autres larves animales, que ce soit des larves d’insectes, des têtards, des petits mollusques … mais aussi aux plantes, ce qui impacte indirectement la population de poissons : les plantes aquatiques, outre leur fonction d’oxygénation de l’eau via la photosynthèse, forment des zones de reproduction ainsi que des cachettes pour toute une série d’espèces animales. La réduction de la quantité de poissons va engendrer une prolifération du zooplancton et la diminution des plantes va réduire l’oxygénation de l’eau. On va donc vers une eau de plus en plus trouble (trop de plancton) et de moins en moins oxygénée (pas assez de plantes), dans laquelle il n’y aura plus beaucoup de biodiversité.
En lisant ces publications, je me suis d’ailleurs rappelé que le site de la Plate-Taille au barrage de l’Eau d’Heure possédait il y a encore quelques années deux beaux herbiers dans lesquels on pouvait observer pas mal de choses. Ces herbiers ont quasiment disparu, à l’inverse des écrevisses qui ont bien proliféré.
Je ne prétends pas affirmer que les écrevisses seraient la cause de la disparition des herbiers mais cela pourrait expliquer une partie du problème. La présence de l’épais tapis des moules zébrées n’est pas non plus un habitat idéal à l’enracinement d’un herbier.
Pour conclure, cet article se veut juste à caractère informatif et n’a absolument pas pour objectif de pousser à l’éradication systématique des écrevisses dans nos carrières.
Par contre, j’ai envie de dire qu’il ne faut pas non plus jouer à l’apprenti sorcier en voulant en ajouter au risque de se retrouver avec une population incontrôlable.
Et si ce texte vous donne des envies de justicier masqué, cela ne regarde que vous car pour rappel, tout prélèvement dans une carrière, sans accord préalable du gestionnaire des lieux, est totalement interdit.
Brigitte Segers

L’écrevisse pieds rouges
Astacus astacus est la seule écrevisse indigène en Belgique, et n’est d’ailleurs plus présente qu’en de rares endroits en Wallonie. Face aux écrevisses invasives, « notre » écrevisse a la vie dure et est en voie de disparition.
Les espèces exotiques introduites volontairement ou non sont cataloguées invasives à partir du moment où elles deviennent une menace pour leur nouvel environnement : introduction, acclimatation, reproduction, envahissement. Cette adaptation est en général favorisée par l’absence de leurs prédateurs respectifs et par leur faculté individuelle à se développer et à prendre le dessus par rapport aux espèces indigènes. En plus des impacts écologiques comme la perte de biodiversité, les espèces exotiques invasives peuvent engendrer d’importantes pertes économiques dans certains domaines d’activité tels que l’agriculture et le tourisme mais aussi en termes de santé publique
La carrière des Trois Fontaines à Walhain propose des plongées capture d’écrevisses que vous pouvez ensuite déguster le lendemain. Renseignements : 0479 89 35 01
La gestion des espèces exotiques envahissantes fait l’objet de nombreux programmes en Belgique (voir notamment le projet LIFE RIPARIAS) et dans le doute, il vaut mieux se tourner vers un organisme agréé pour demander des conseils.
www.riparias.be/fr
www.reseau-idee.be/fr/aspei
S.O.S Environnement – Nature T 0800/20 026
Ci-dessous, la liste des espèces d’écrevisses présentes ou non en Belgique. Quatre nouvelles espèces sont apparues sur la liste d’alerte. Les propriétaires d’étangs sont encouragés à informer les partenaires de LIFE RIPARIAS s’ils trouvent des espèces exotiques envahissantes (EEE) dans leur propriété, ou ailleurs.

Références :
www.vrt.be/vrtnws/nl/2023/04/07/middelkerke-haalt-marmenkreeften-uit-parkvijver/
www.rtbf.be/article/eradication-de-milliers-decrevisses-de-louisiane-a-chaumont-gistoux-une-premiere-en-belgique-10770648
Smart, A. C., Harper, D. M., Malaisse, F., Schmitz, S., Coley, S., & De Beauregard, A. C. G. (2002). Feeding of the exotic Louisiana red swamp crayfish, Procambarus clarkii (Crustacea, Decapoda), in an African tropical lake : Lake Naivasha, Kenya. In Lake Naivasha, Kenya.
Vaeßen, S., & Hollert, H. (2015). Impacts of the North American signal crayfish (Pacifastacus leniusculus) on European ecosystems. Environmental Sciences Europe,27(1), 1-6.